vendredi 27 février 2015

LA LÉGENDE DE LA PORTE DE KECHOUT (كشّوط) À TLEMCEN

- / : "La Vérité est faite d'une accumulation de suppositions et de légendes que les pères repassent aux fils comme des souvenirs de famille et qui, à son insu, lentement, sont devenues son armature"
Citation de Georges Moinaux, dit Georges Courteline.
- / : La porte de KECHOUTE (se situait pas loin du grand bassin) qui n'existe plus aujourd'hui, a joué un rôle important dans l'histoire de Tlemcen. Son nom  étrange n'a aucune signification arabe, et la majorité des références n'ont fait que  citer la porte en question sans donner de détails.
- / : Alors que savons nous à propos de cette porte et pourquoi porte t-elle ce nom?
L'histoire que je vous propose ici constitue un vrai patrimoine immatériel et nous offre un exemple bien marqué de "la contamination spirituelle" mais aussi un exemple du rite qui caractérise le sacrifice destiné à créer un esprit protecteur d'un édifice. Bien avant la période des Zianides, pendant le règne d'Abou Qurra Al Ifrini, chef Amazigh de la tribu des Beni Yefren qui batît la cité d'Agadir et qui devient plus tard Tlemcen et après avoir élevé  les murs, il avait un souhait que sa cité ne connaîtra dans l'avenir ni désordre, ni faim, ni la disette, ni la guerre, ni les discordes. "Il faut, se dit-il que je dévoue mon fils à la mort pour procurer aux futurs habitants la paix et la tranquillité". Lorsque les maçons commencèrent à travailler au niveau de la porte qui regarde vers l'occident, il sorti avec son armée et sa famille et s'en alla vers l'ouest jusqu'au col appelé "le col du juif". Là, il fit une halte à ses troupes et on dressa les tentes.
Le lendemain matin, il appela son fils et lui donna une lettre en lui disant:" Ôh!!! mon enfant, va porter cette lettre aux chefs des travailleurs qui construisirent la porte de la ville, et ne tarde pas sur la route". Avant de le laisser partir, il l'embrassa et lui dit "adieu". Au milieu du chemin l'enfant rencontra un juif qui d'habitude faisait ses commissions pour le sultan. Ce juif lui dit il: " Oú vas tu mon seigneur? Ôh petit maudit je vais pour cette lettre au chef des maçons qui construit la nouvelle porte de la ville. "Donne la moi, reprit le juif- je la porterai à ta place et je t'éviterai ainsi de la peine et de la fatigue"...En lui même le juif pensait gagner par là quelque argent. Le juif prit la lettre et partit en courant. Arrivé à la porte, il cherche le chef des ouvriers, et l'ayant trouvé lui remit la lettre. Le chef ouvrit la lettre, et y lu ce qui suit: "Salut et salut aux chefs des ouvriers, aujourd'hui tu te saisira du porteur de cette lettre et tu l'égorgera et tu enterreras son cadavre dans les fondations de la porte". Le chef des ouvrier fendit la gorge du juif d'une oreille à l'autre et on enterra son cadavre sous la porte, or ce juif s'appelait KECHOUTE (كشّوط) et c'est pour cela cette porte s'appelait la PORTE DE KECHOUTE.
Abou Qurra voulait enterrer son fils pour procurer à Agadir -Tlemcen- la paix et la bénédiction car son fils était un vrai musulman d'âme pure. Il se trouva qu'à sa place on tua un juif. C'est pour cela que dans la suite la cité eut à souffrir de plusieurs guerres.
PS: La porte de KECHOUTE était connue durant les ottomans par le nom de "la porte de la balançoire" car il paraît que des rois Zianides et plusieurs de leurs descendants ont été pendus par les Ottomans en utilisant leur turban. Pendant la colonisation française cette porte était devenu la porte de Fès car elle se trouvait sur la route qui mène vers sa sœur jumelle, la ville de Fes.
Par Kossay Zaoui.

mercredi 18 février 2015

Tlemcen la bien gardée de Dieu: ATTENTION: "RESPECTEZ LE CODE" !

Un code est un ensemble de lois imposées  dans des domaines spécifiques (droit,  médecine, éthique,  route...) Mais un code peut constituer aussi un ensemble de coutumes ou de règles parfois écrites, qu'il est convenu de respecter dans un milieu donné.
Tlemcen, grande capitale du Maghreb a vu succéder plusieurs civilisations sur ses terres: Romains, Omayyades, Idrissides, Almoravides, Almohades, Zianides,  Mérinides, Espagnoles, Ottomans-Algériens, Français.
La genèse du tissu urbain de Tlemcen témoigne de sa grandeur, une ville de tolérance, cosmopolite, commerçante, industrieuse, intellectuelle.., L'architecture et l'organisation urbaine sont le reflet de la prospérité d'une Médina, car bâtir est avant tout un art. Dans les ruelles de la Médina de Tlemcen, on ne peut qu'imaginer l’uniformité des méthodes et des moyens utilisés, ces constructions qui apparaissent aujourd'hui "ordinaires" ont été assurément destinées pour durer et devenir universelles conformément à l'ancien art lorsqu'on envisage les formes de l'architecture.
Autrefois, l'ancienne Médina de Tlemcen était soumise à un code bien précis, un savoir-vivre et des rapports étaient respectés entre riverains mais aussi entre étrangers qui pénétraient dans un Derb. Un arc à l'entrée d'une ruelle signifiait  que l'artère n'était pas commerçante et qu'il s'agit une zone résidentielle, si l'arc prenait naissance à la base c'est qu'il s'agissait d'une impasse. Il fallait déchiffrer le sens des symboles car certains hiéroglyphes indiquait la direction qu'il fallait prendre pour se rendre aux demeures, aux Rahba (placette), et même au centre ville. D'autres symboles indiquaient le nombre de ruelles dans chaque noyau résidentiel.
Intéressant code dans cette  sqiffa un passage privé ( courbée) et l'autre au fond publique ( carré) 
ce qui veut dire une entrée à sens unique du côté supérieur
Dare El Azzouni à droite 
 Lorsque Youcef Ibn Tachfine Al Mourabiti a fondé Taghrart, une ville surélevée et dominante, elle a vite évolué d'une cité destinée aux élites Almoravides vers une ville commerçante et administrative au point oú sa grande sœur Agadir s'effaça du paysage de Tlemcen après la mise en place des mosquée et des quartiers: Bâb Zir, Sid El Djabbar (un Saint guérisseur et rebouteur de Tlemcen. Il existe une expression qui est dite pour toute personne qui souffre d'une fracture: "Rouh Y'jabbrouke" en référence à ce saint spécialisé dans les fractures osseuses, et les luxations), Derb Sensla, Derb Naidja, Derb beni Djemla, Djamâa Chorfa, Djamâa El Coran...La décision de Amir Al Mouslimine Youcef Ibn Tachfine de construire Taghrart et d'attribuer un quartier à chaque tribu Amazighe qui l'accompagnait s'explique par l'animosité existante entre ces tribus c'est pour cette raison chaque quartier avait son propre Ferrane, Hammam, mosquée(s)...
ka3 chkara ( Cul de sac) 
Par exemple, Derb Sensala  a été nommée ainsi en raison d'une chaîne métallique que les habitants de ce quartier (majoritairement des notables Almoravides) installaient à l'entrée au moment de la sieste (14h-16h ) pour éviter que des animaux n'y pénètrent. C'est une ruelle intéressante si on veut remonter le temps car presque toutes
les maisons ont subi que peu de "déformations" dont quelques unes possèdent encore des anciennes chambres pour les domestiques et les serviteurs.
La Médina de Tlemcen est un vrai labyrinthe avec ses quartiers  bien bâtis, divisés, orientés, éclairés et sécurisés. Pour ne pas se perdre dans les "droubas" il fallait un code, des symboles à déchiffrer et à suivre. Par exemple les arcs n'ont pas été faits pour agrémenter le paysage. Leur rôle était d'avertir les passants qu'ils s'approchent d'une zone résidentielle et de ce fait, il fallait faire attention à leur comportement et l'itinéraire qu'ils allaient prendre. Pour les étrangers, aucune chance d'y pénétrer sans être accompagnés par un habitant c'est pour cette raison que certains historiens considéraient ces signalisations judicieusement placées comme des portes secondaires.
 
  Ici nous avons une entrée résidentielle et une Skiffa privée  
Pour ne pas se tromper de direction des plaques de signalisations (ornements) étaient placées au niveau des angles des rues. On les appelle El Muqarnas=مقرنة comme vous pouvez le voir sur les photos attachées. Pour lire cette signalisation, il fallait se mettre devant, une règle simple était appliquée, sur votre droite se trouve forcément la zone résidentielle alors que sur votre gauche la ruelle mène obligatoirement vers le centre de la ville. Cette règle a été inspirée d'un verset Coranique oú Dieu a dit: "Les gens de la droite ont pour finalité le Paradis". D'ailleurs aussi le mot "Ghorfa" qui signifie une chambre en arabe est inspiré du Noble Coran oú une Ghorfa est liée au Paradis. À Tlemcen on mettait deux rideaux à l'entrée de chacune: Un léger qui jouait le rôle d'une moustiquaire et l'autre plus épais pour garder la chaleur tout dépend la saison.
Ici on peu voir une lucarne sur la gauche pour faire passer la lumière 
qui n'existe plus aujourd'hui à cause de l'extension illégale de la maison. 
Référez vous aux autres photos couleur pour la comparaison
Pour l'éclairage public, un comptable (صاحب الحسبة) proposait un éclairage adapté, économique pour illuminer les ruelles de la Médina. Des lucarnes dans les Derb mais aussi des lampes à l'huile voire dans lampadaires par endroit même au niveau "des Sqiffa" (سقيفة) ont été installés. El Sqiffa est souvent trouvée dans la partie basse de Taghrart, c'est un passage ouvert et couvert qui émerge à partir d'une habitation dans le but d'optimiser l'espace et améliorer l'oxygénation, de plus lorsqu'elle est arquée ceci signifie que c'est un passage privé comme l'indique les photos jointes.
Ici  on peut voir sur la gauche où la lampe à huile a été placée 
 pour éclairer l'entrée de Derb Sensla quand il fait noir.
Pour les portes à Tlemcen, souvent étaient formées de deux parties, une battante et l'autre fixe et munies de deux heurtoirs, un placé plus haut que l'autre. Un explication a été proposée pour déchiffrer ce symbole, le plus haut était destiné aux visiteurs montés (cheval, âne...) alors que celui du bas pour les piétons. Mais on peut vite se rendre compte que cette explication n'est pas valable pour les portes qui se trouvent au niveau "des Sqiffa" car en traversant le visiteur est obligé de descendre de sa bête. L'autre explication est tout autre, nous savons que les quartiers de Tlemcen étaient sécuritaires, ainsi les portes d'entrée demeuraient toujours ouvertes, alors si le visiteur était une femme ou des enfants, ils devaient utiliser le heurtoir de la partie battante. Cependant s'il s'agissait d'un homme, lui était obligé d'utiliser le heurtoir de la partie fixe. Le propriétaire savait faire la différence entre les deux sons émis pour qu'il se prépare à accueillir le visiteur. Et finalement la largeur des Derb et la localisation des entrées des maisons obéissaient à une tradition musulmane. Leur disposition avait pour but de favoriser et de consolider le lien sacré du voisinage et des relations familiales selon les recommandations du prophète de l'islam (PSL).
Texte et images inspirés d'un article de Mr Kossay Zaoui.

vendredi 13 février 2015

JOSEPH AUGUSTIN PEDRA: Premier Photographe de TLEMCEN (par Kossay Zaoui)

 Etre photographe c'est amer la solitude qui vous amène à exploiter toutes les audaces qui ont fait la renommée de certains photographes.
la photographie est une véritable archive qui permet de transmettre un fragment de temps qu'on est tenu de placer dans son contexte historique. Tlemcen ville d'art et d'histoire fut le modèle de choix à photographier.
Chaque ville d'Algérie avait son photographe mais c'est Tlemcen qui accueillit certainement le plus grand nombre dont Joseph Augustin PEDRA qui fixe sur le négatif, dès la 2ème moitié du 19ème siècle, nombre de rues, d'habitants, de monuments historiques, de marchés pittoresques de Tlemcen.

PEDRA avait son studio sur la ruelle de Sidi El Yedoune à Tlemcen. Il né à Tlemcen en 1860, et avait un fils "Grégoire" , devenu photographe aussi après avoir été peintre en bâtiment. On connaît les deux mariages du père et du fils, à Batna en 1857 pour le père (alors déclaré peintre), à Tlemcen, en 1879 pour le fils. A cette date, le père est photographe. Les clichés publiés dans plusieurs célèbres revues sont sans doute du père, et sont les seuls qui subsistent de leur production. On raconte que la famille est originaire d’Espagne.

Alexander A. Knox voyageur londonien en visite à Tlemcen nous a laissé sa rencontre avec la femme de PEDRA: "...Nous avions demandé à l'hôtel pour aller à une rue près de la grande place, c'était, si je me souviens bien, appelée "la ruelle Sidi Yeddoune», pour obtenir des photographies de Tlemcen. Nous avons frappé à une porte où il y avait quelques photos dans une armoire de verre contre le mur. une vieille femme nous a ouvert la porte: "Ah, mon cher monsieur, ce pauvre Pedra est mort; je suis sa veuve". Ça nous attristé de l'entendre, et nous étions sur le point de partir lorsque la vieille dame nous a supplié d'entrer en disant que la présence des voyageurs est une bénédiction pour elle et que c'était un acte de charité qu'une personne achète ses photographies. Nous avions sélectionné certaines photos, et nous avions demandé s'il y avait d'autres, elle nous a dit qu'elle va préparer d'autres à partir des négatifs: "Je peux facilement le faire, je suis bricoleuse comme mon fils "Ah! Mon, mon fils le pauvre! »dit-elle, et elle fondit en larmes. Nous avions essayé avec quelques mots de l'apaiser et de la consoler puis nous lui avions demandé si elle pouvait nous raconter son histoire peut être que ceci soulagerai sa douleur: "Ah!, l'autre jour mon pauvre fils s'est fusillé, il est tombé raide mort-là sur cette dalle encore entachée de son sang....Le garçon avait du sang espagnol dans ses veines du côté de son père alors que la mère était une française.''
Les photographies de Joseph Augustin PEDRA ont déjà fait connaître une partie de Tlemcen et ses monuments. Un photographe d'un grand talent passionné et généreux qui a su mettre en valeur sa ville natale comme le témoignent ses photos saisissantes d'une rare intensité. Il est donc désirable et fortement recommandé que ses œuvres soient reconnues et publiés ou simplement exposées.
PS: Toutes les photos attachées à ce commentaire sont celles de PEDRA, TLEMCEN.


Porte et Heurtoire de la mosquée de Sidi Abou Mediene Tlemcen. 
Par Joseph Augustin Pedra, premier photographe de la ville (XIXe)

 Vue générale de la ville de Tlemcen, 
Par Joseph Augustin Pedra, premier photographe de la ville (XIXe)

Mosquée de Bâb Ziri Tlemcen, (Bab Zir en 1830
Par Joseph Augustin Pedra, premier photographe de la ville (XIXe)

 Mosquée de Sidi Abou Mediene Tlemcen, 
Par Joseph Augustin Pedra, premier photographe de la ville (XIXe)

 
Cascades d'AL Ouerit, Tlemcen 
Par Joseph Augustin Pedra, premier photographe de la ville (XIXe)

Photos récente (meme prise des cascades d'Al Ourit
prise en période de neige (Février 2015)  

Mosquée de Sidi Lahcen Tlemcen, 
Par Joseph Augustin Pedra, premier photographe de la ville (XIXe)