vendredi 31 mai 2013

Souvevirs de Pieds Noirs: Tlemcen, rue Lamoricière...

- / : Article paru en 2010 sur la rubrique "Édition Abonnés" dans le journal "Le Monde":
"Elle avait un sourire lumineux. Il fallait le faire, ajouter de la lumière dans la rue Lamoricière écrasée d'un soleil insolent. Des yeux noirs qui riaient sans qu'elle ait eu besoin de rire. Elle était jolie, très jolie, un beau visage de Juive séfarade, anguleux, explosant d'expressivité, de joie de vivre. De "fureur de vivre", disait-on alors, nous les gamins de la rue, parce qu'on était fascinés en ces temps par le beau James. Même qu'on était trop jeunes pour aller le voir le film, interdit aux moins de 16 ans. Au Lux.
Alors, on passait et repassait devant l'affiche. Et on faisait le reste du boulevard du Méchouar en marchant différemment, en regardant les filles autrement, en faisant tomber, sans le montrer, une ou deux mèches de plus sur le front. Façon rebelles sans cause. Je me demande encore pourquoi des imbéciles de traducteurs ont appelé ce film « La Fureur de vivre ». C'est tellement mieux « Rebelle sans cause » quand on a 13 ans et qu'on a tous les comptes du monde à régler avec...qui, justement ? Le proviseur, "Piko" le prof d'histoire-géo, "Fernand", le prof de gym raciste, le rabbin qui nous foutait les j'tons, nos mères cannibales, nos pères dans l’ "inadvertance" permanente. Le monde quoi.
Et puis il y avait Andrée dans notre rue. Elle s'appelait Andrée. Elle avait 21 ans et en plus de son beau visage elle avait un corps... l'objet secret de nos nuits d'ados, de nos troubles, de nos rêves. Sa mère lui avait offert une splendide voiture. Toute voiture à Tlemcen en ce temps était déjà une sorte de miracle. Mais là, c'était une "Dauphine" Renault, rouge corail, flambant neuf ! Tout le peuple gamin, Arabes, Juifs, Espagnols des rues Lamoricière, Germain Sabatier et Almanzor, jusqu'au bélik, était rassemblé autour de la merveille. Enfin des deux merveilles, parce que je crois qu'on venait plus pour la conductrice que pour la caisse. Faut dire qu'à l'époque, les portes des voitures s'ouvraient de l'avant vers l'arrière. C'était génial ! Quand une femme montait dans une voiture on avait droit aux jambes, aux bas, avec un peu de chance un peu plus... Alors les jambes, les bas, le un peu plus d'Andrée c'était quelque chose ! Le gros "Barchi" en était violet d'émotion.
Et elle riait, radieuse, heureuse du remue-ménage qu'elle provoquait, embrassant l'un, caressant les cheveux d'un autre, tous "ses petits frères" disait-elle.
Une nouvelle un jour a couru dans le lycée. De ces nouvelles qui vous plombent la vie pour au moins quelques minutes. Andrée avait un homme et elle allait se marier. Inconscience. Trahison. Et nous, tous les fiancés ? On ne comptait pas ? Se marier, avec la robe et tout et tout... ce qui va avec.
On est allé prendre le thé à la menthe au café à côté du Grand Bassin je me rappelle. Ça tirait la tronche. Avec un militaire elle allait se marier. Un officier ou quelque chose comme ça. Même pas Juif, ou Arabe, ou Espagnol, enfin de chez nous quoi ! Non, un Français de France, un "pathos" qu'on n'avait jamais vu, qui ne savait rien de la tafina, de la mahia, de la kemia ou de la calentita. Comment elle allait lui apprendre tout ça ? Elle n’y arriverait jamais la pauvre. Même le thé, bourré de sucre, semblait amer.
Et puis voilà. Andrée s'est mariée. On a su, on a vu, que l'homme qu'elle avait choisi était beau, intelligent, d'une gentillesse rare. Personne ne pouvait s'en étonner : comment aurait-il pu en être autrement avec cette femme remarquable ? Il est mort très jeune, à trente ans je crois. Andrée est restée la veuve de cet homme tout le reste de sa vie.
Je l'ai vue à Paris, il y a quelques années. Elle était toujours aussi belle à 66 ou 67 ans. Je lui ai dit. Je lui ai dit aussi qu'elle avait été la « femme » de tous les gamins du quartier bas de Tlemcen. Elle a ri. Comme avant, à gorge déployée. Elle continuait à adorer la vie.
On l'a enterrée ce matin, au cimetière de Pantin. On doit être tout un tas encore amoureux d'elle, des deux côtés de la Méditerranée."
- Par Léon-Marc Levy.

- / :  Habitants et témoignages sur  la rue Lamoricière:
  . JchLevy: Mes grands paternels habitaient rue Lamoricière (Chalom et Flekha).
  . Par GuyPaul: J'habitais la rue Lamoricière depuis ma naissance (1945) jusqu'à mon départ en 1962, je suis né au 11 qui abritait les familles benkimoun, benayoune, mergui, benhamou et nephtali. Je n'ai eu aucun mal à retrouver les tombes de ma parenté lors d'un séjour en 1974 parce que je connaissais le cimetière. La rue était majoritairement juive : Marciano, El koubi, Karsenty, benichou, torjman, sicsic, bendenoun, barchillon, elbar, chiche, médioni, j'en oublie....

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